Qu’est-ce qui définit une mère ?
Qu’est-ce qu’une mère ?
C’est à l’écoute d’un podcast du Monde que cette question est brusquement survenue. C’était l’histoire d’un jeune homme né sous X qui avait eu recours à un test ADN « récréatif » pour « en savoir plus sur ses origines ethniques »[1]. Sa recherche a fini par le mener à sa « mère biologique », qui ne l’attendait pas et ne se sentait pas mère de cet enfant. Elle dit d’ailleurs, « je considère que j’ai eu 5 enfants et non 6 ».
Cette assertion peut sembler cruelle, à la première écoute. Pourquoi ? N’est-ce pas parce qu’on l’entend comme un être humain faisant partie d’une société dont les règles communes, majoritairement édictées par des injonctions morales et/ou religieuses, disent qu’il est inacceptable que la femme qui a porté un enfant ne l’accueille pas comme son enfant ? Il s’agit là d’une question que je me pose et que je pose ici.
Et cette « règle » communément admise, y compris par ces femmes, génère une forme de honte matérialisée essentiellement par un silence qui devient un secret dans la plupart des familles, rendu possible par la loi qui a créé l’accouchement anonyme dit « sous X ». Elaborée après la Révolution française, la loi de l’accouchement sous le secret permettait à ces femmes de pouvoir donner naissance dans un environnement sécure et en confiance. L’alternative, alors, était l’abandon ou l’infanticide. Il me semble néanmoins qu’il ne faut pas oublier l’impact psychologique fort de cette mesure qui a non seulement engendré des trous noirs dans les histoires de ces femmes transmis sous l’étiquette de la honte pour les enfants X.
En France, ces enfants deviennent pupille de l’Etat et, pour la plupart, ils sont accueillis dans une famille où souvent il y a la place pour cet enfant, qui vient répondre à un désir. C’est le cas du protagoniste de ce podcast, qui a grandi heureux avec ses parents. En effectuant cette recherche génétique, il affirme ne pas remettre en cause le lien ni la place de ses parents. Néanmoins il a eu besoin de connaître ses origines. Et c’est là qu’arrive la grande question ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait qu’on est LA mère pour ces enfants ? L’est-on plus que les donneuses ou les mères biologiques ? Et Comment le sait-on ?
Quand on bénéficie d’un don de gamète, ces questions nous taraudent, quelle que soit notre force à les enfouir au plus profond de notre subconscient. Et il me semble que pour vivre bien et le plus en harmonie possible avec ses enfants, il est essentiel de les laisser monter à la surface et d’y répondre, du mieux possible pour chacun(e) de nous.
Les définitions d’une mère en France.
La première définition de la mère, dans le dictionnaire Le Robert[2] est la suivante : « Femme qui a mis au monde une ou plusieurs enfants ». Le dictionnaire émet également 2 notions qu’on pourrait considérer comme des corollaires de la première, à savoir la mère d’accueil, « dont l’utérus sert de réceptacle, le temps de la grossesse, à l’ovule fécondé d’une autre femme qui est la mère génétique, biologique » ou encore « la femme qui est comme une mère (ou) mère adoptive ».
Si on regarde du côté de la loi, le droit français apporte la notion de filiation qui établit les places de chaque membre d’une famille. Dans le code civil, le lien de filiation entre une mère et son enfant est établi par l’accouchement. Ainsi, la mère est la femme qui accouche. Le lien de filiation entre le père et l’enfant est établi par le lien entre le père et la mère, à savoir que le père présumé est le conjoint de la mère. Avec les évolutions de la famille, le droit évolue aussi. Ainsi, il est possible, pour les couples non mariés, d’établir le lien de filiation en effectuant une déclaration commune. Enfin, dans le cadre de PMA et de conceptions avec don, le droit a prévu qu’« aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation. Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’égard du donneur » (art. 311-19 abrogé par la loi n°2021-1017 du 2 août 2021). Cette loi protège ainsi les liens de la famille d’intention.
Par conséquent, dans l’acception commune, la mère serait celle qui porte l’enfant et qui accouche. Est-ce aussi simple que cela ?
Cette question m’a menée à vouloir chercher des réponses auprès des personnes concernées, c’est-à-dire tout le monde. Ainsi j’ai mené ma propre enquête, en deux temps :
Qu’est-ce qu’une mère ? J’ai posé cette question à une dizaine de femmes autour de moi, mères elles-mêmes ou pas, dont l’âge est compris entre 35 et 45 ans. Les retours, qui n’ont aucune ambition de représentativité apportent un éclairage et amorcent une forme d’impression.
Cette première enquête ne suffisait pas. Trop peu de retours et toutes ces personnes étaient concernées par le sujet de la PMA ou de l’adoption. Par conséquent j’ai élargi avec un sondage en ligne[3], qui a été mené du 16/06/2021 au 30/08/2021. Il y a eu 47 répondants, adultes résidant en France, dont l’âge était compris entre 25 et 78 ans, avec une forte proportion de femmes (80%) et 70% de personnes ayant des enfants. Plus de la moitié d’entre eux n’ont jamais eu recours à la PMA et n’ont pas adopté et 95% connaissent quelqu’un ayant eu recours à la PMA ou ayant adopté. Les questions de cette enquête portaient essentiellement sur la perception de ce qu’est une mère. Ainsi, sans ambition de représentativité, ces deux enquêtes viennent appuyer des impressions et dessiner une vision de la mère.
Sans surprise, les résultats affichent que « la mère est celle qui porte l’enfant » pour 82% des répondants. Ainsi, on pourrait estimer que les répondants sont en phase avec la loi française. De même que, pour 85% d’entre eux ce n’est pas la génétique qui définit la mère.
Cela étant dit, 20% considèrent que leur mère est la personne dont ils sont issus génétiquement et affirment que « si elle ne les avait pas portés elle n’en serait pas moins leur mère ». C’est tout-à-fait cohérent mais ce qui est troublant c’est que les mêmes, à 90%, affirment que « si elle ne leur avait pas transmis sa génétique, elle n’en serait pas moins leur mère ». ??
Quant au don d’ovocytes, toujours les mêmes 20% estiment que « la mère est celle qui élève l’enfant ». Je précise ici que presque tous connaissent quelqu’un qui a eu recours à une PMA.
La mère qui nourrit.
La dimension affective semble être l’élément fondateur de toutes les mères, pour toutes les personnes interrogées. La mère est celle qui aime ses enfants, envers et contre tout. Elle est le refuge du cœur toujours ouvert pour ses enfants. Célia[4] dit qu’« une mère porte en elle un amour indéfectible pour son/ses enfant(s), quoi qu’il arrive ».
Dans le mythe biblique de Salomon, la « vraie mère » est celle qui est prête à renoncer à son enfant pour ne pas le voir coupé en deux. Ainsi la mère serait celle qui « aime ses enfants plus que tout, de manière inconditionnelle », comme le pense aussi Noémie.
La mère est celle qui offre l’amour inconditionnel, celui qui n’attend rien, qui pardonne et qui câline. La dimension physique de la mère est bien là également. C’est elle « qui câline », qui « écoute et apaise » (Noémie), c’est elle qui « suit (l’enfant) toute sa vie » dit Emilie. La mère « est toujours présente dans les situations positives et négatives ». Cette dernière citation de Christelle exprime l’indispensable présence d’une mère pour son enfant. La mère c’est celle qui est là en définitive, tout le temps et dans tous les cas.
Telle Marie qui a affronté la maternité seule et accompagne son enfant jusqu’à la mort, la mère est une présence physique qui supporte son enfant. Parce que la mère veille. Elle « apporte la sécurité » (Célia), « la structure » (Noémie), elle donne un cadre qui permet de grandir. Ainsi, Camille nous dit que la mère « doit assurer un environnement propice aux besoins fondamentaux », et Aurélie répond spontanément que la mère « veille au bien-être physique et émotionnel de son enfant…en le nourrissant…en lui donnant des outils ».
On retrouve ici le mythe de Gaia, la Terre nourricière sans qui la vie n’existe pas. La mère est donc à l’origine de la vie avant tout parce qu’elle procure la nourriture en suffisance, avant tout la BONNE nourriture pour que l’enfant puisse grandir. La mère est celle qui « fait naître » un enfant, pas seulement au sens d’accoucher mais avant tout au sens de faire émerger un être vivant autonome et qui évolue. Et la mère qui procure l’amour est la gardienne d’un espace sécure pour l’enfant.
La mère qui prend sa place.
Ainsi, la mère doit pour ses enfants « leur apprendre la vie, les responsabilités, le respect…les accompagner sur le chemin de la vie, leur inculquer les bases de l’éducation ». Noémie nous parle ici de ses propres valeurs, en tant que mère, qu’elle aimerait que ses enfants intègrent et sans doute reproduisent à leur tour.
Les retours du sondage affichent également une prévalence de la notion d’éducation. « La mère est celle qui éduque », « celle qui élève », « celle qui est toujours présente ». Au-delà des valeurs, on repère ici le poids de la présence de la mère. La mère, c’est celle qui est là, qui accompagne le quotidien et qui sait de quoi on a besoin.
D’un point de vue psychologique, la relation enfant-parent s’établit avec la personne qui est là justement. C’est avec cette personne qu’on se construit et que tout le processus psychique s’élabore. Si ce parent est là c’est bien parce qu’il occupe SA place au sein de la cellule familiale et vis-à-vis de cet enfant.
La mère est là. Elle donne tout son amour, sa tendresse, contribue à procurer l’ensemble de gestes qui permettent à l’enfant de se construire. Par ailleurs, elle accompagne le quotidien de l’enfant. Elle l’entoure, elle l’épaule, elle est un élément essentiel de l’éducation de l’enfant, elle l’aide à grandir et à s’épanouir. Ainsi peut s’opérer un processus de reconnaissance. La mère qui éduque son enfant, qui est là au quotidien, reconnaît son enfant et permet à cet enfant de la reconnaître en tant que SA mère.
La mère qui fait le lien.
En évoquant l’éducation, le respect, la bienveillance etc. toutes les personnes interrogées parlent des valeurs que les mères « doivent » communiquer. Parce qu’elles sont souvent ancrées comme une base fondatrice de ces mères. Pour aller plus loin on peut estimer aussi que ces valeurs viennent aussi de quelque part, et que la transmission n’a pas commencé avec elles. Ainsi, Christelle estime que la mère est aussi celle qui « représente nos racines sans lesquelles on ne peut grandir avec stabilité ».
Est-ce que la mère n’est pas aussi celle qui s’inscrit dans une lignée, la lignée des femmes qui l’ont précédée et qu’elle prolonge avec son enfant ?
Monique Bydlowski évoque la dette de vie de la mère. « Cette dette circule de mère en fille. Le don de la vie par la maternité assure ainsi le passage inéluctable du corps maternel déclinant dans le corps renouvelé de l’enfant à naître. (…) Cette dette d’existence, que l’enfant va littéralement incarner, renvoie à un fait clinique : par l’engendrement, et singulièrement par le premier enfant, les femmes accomplissent leur devoir de gratitude à l’égard de leur propre mère. »[5]
Ainsi la mère transmet aussi l’héritage de sa propre mère et, par son enfant, établit une connexion de l’ordre de la lignée, un fil d’Ariane qui marque la reconnaissance de cet enfant par sa mère et de cette femme à sa propre mère. Dorothée nous dit qu’une mère est « une femme qui ne peut faire l’économie de s’interroger sur sa propre mère, sur celle qu’elle souhaite être, celle qu’elle sera, sur l’enfant qu’elle a été et qui est encore là, au fond d’elle ». Il me semble qu’on est bien dans le registre de la reconnaissance. La mère est celle qui prolonge et en cela elle « porte forcément l’espoir » (Dorothée).
La mère qui porte, qui crée un espace sécure pour faire naître et grandir, celle qui occupe sa place et qui permet la reconnaissance et enfin la mère qui transmet. Cette enquête ne permet pas de définir la mère. Néanmoins elle permet d’accéder à une image qui procure un sentiment de sécurité, de bien-être et d’amour. Peut-être est-ce l’image d’une mère dans les yeux de son enfant.
A suivre.
[1] L’Heure du Monde du 20/04/2021 : La vie bouleversée de Sylvain né sous X
[2] Le Nouveau Petit Robert de la langue française, édition 2007
[3] Les résultats de l’enquête C’est quoi une mère ? sont disponibles sur demande auprès de marianne@ouiwishababy.com
[4] Tous les prénoms ont été changés par respect de la confidentialité envers les témoins.
[5] Monique Bydlowski, Devenir mère, ed. Odile Jacob.
Marianne Fernandes Barbier